Barrage de Vouglans,
son histoire, sa technologie, sa gestion
texte : Bernard Hostache
I. L’histoire
La rivière d’Ain
La rivière d’Ain, souvenir de son ancien nom « le Dain », naît d’une belle et abondante source vauclusienne au coeur du Jura français, près de Nozeroy, à 700 mètres d’altitude. Elle traverse le plateau de Champagnole puis, coulant vers le sud-ouest, s’encaisse à partir du Saut de la Saisse dans des gorges de 90 km de longueur. Elle reçoit sur ce parcours son principal affluent, la Bienne, qui draine sur sa gauche le Haut-Jura. A partir de Pont d’Ain, la rivière s’étale dans sa plaine alluviale et, après un court total de près de 200 km, se jette dans le Rhône à la cote 185, à 20 km à l’amont de Lyon.
Le lit de l’Ain a une pente assez régulière qui oscille entre 1 et 3 %. Seuls, quelques accidents locaux le recoupent de cascades ou rapides: Pertes de l’Ain, Saut de la Saisse, Saut Mortier.
Quoique issus de moyenne montagne, les apports de l’Ain et de ses affluents sont particulièrement abondants. Pour un bassin total de 3800 km², le débit moyen au confluent du Rhône atteint 130 m³/s. Les hautes eaux ont lieu, en général, de l’automne au début du printemps, en concordance avec les besoins énergétiques. La création de grandes accumulations était donc souhaitable pour régulariser la rivière et compenser sa faible pente par une meilleure utilisation des eaux.
L’implantation du barrage
Le site du barrage est très bien situé, en tête des gorges de l’Ain. Plus à l’amont, l’Ain n’aurait pas été assez formé et le volume de la retenue trop faible. Plus en aval, la chute aurait été trop faible.
La roche des appuis constituée de bancs massifs horizontaux a une excellente résistance mécanique. L’étanchéité générale est satisfaisante. La rivière d’Ain a creusé en effet sa gorge dans les roches compactes du Rauracien. Mais située au milieu d’un large synclinal, elle est enveloppée à 100 m de profondeur par la couche étanche de l’Oxfordien marno-calcaire. Il existe néanmoins des circulations karstiques qui empruntent en général les fractures de la roche. La coupure de ces cheminements, dont l’importance est limitée, a nécessité l’exécution de quelques travaux d’étanchement.
Le barrage est implanté à l’amont des deux villages de Vouglans et de Menouille, dans une gorge de 200 m de profondeur, dont l’accès par les deux plateaux des rives ou l’aval est facile.
Submersions
La retenue a submergé 1600 ha de terrains répartis sur treize communes, dont 400 ha seulement étaient productifs. Elle a en outre entraîné la disparition des agglomérations suivantes :
- Le village du Bourget avec son hameau de Bellecin. Cette commune de 120 habitants qui autrefois fut rattaché à la commune voisine d’Onoz ne comprenait ni cimetière ni église.
- Le hameau de Brillat qui dépendait de la commune de Maisod.
La construction du barrage de Vouglans a mis 150 personnes dans l’obligation de quitter leur foyer et ces terres inégalement fertiles. Ses habitants se sont tournés vers l’artisanat et notamment la tournerie sur bois.
La Chartreuse de Vaucluse, une des plus anciennes de l’Ordre, a été également submergée. Reconstruite à la fin du 18eme siècle, elle fut à peine achevée car détruite sous la Révolution. La chapelle et le cloître étaient en ruines. Seules restaient debout l’ancienne hostellerie des visiteurs entièrement restaurée au siècle passé avec un grand portail de style jésuite et la terrasse supportée par une belle alignée de voûtes qui constituaient, avec son cadre sauvage, le principal attrait du site. Pour garder trace de ces vestiges le portail d’entrée et les deux charmants petits bâtiments qui l’encadrait ont été déplacés par EDF au dessus de la limite des plus hautes eaux.
Deux centrales hydroélectriques ont été noyées: le Saut de la Saisse en queue de retenue et la Chartreuse de Vaucluse juste à l’amont du barrage.
La liaison routière de Moirans à Orgelet passait par un pont au fond de la vallée. La liaison a été rétablie par le nouveau Pont de la Pyle de 300m de portée en béton précontraint.
La réalisation du barrage et de l’usine
1956 à 1960 : Les études préliminaires.
Les premières études générales avaient mis en évidence l’intérêt du site de Vouglans. Les sondages réalisés confirmaient la qualité du rocher. La demande de concession fut déposée en juillet 1957. L’enquête publique a eu lieu en octobre 1960.
1961 à 1965 : Les travaux de reconnaissance.
D’importants travaux ont été exécutés afin de reconnaître le réseau des circulations souterraines qui s’articulent autour de la Caborne de Menouille et d’explorer la zone des appuis du barrage.
1962 à mi 1965 : Les travaux préparatoires.
Avant l’ouverture du chantier, des habitations ont été construites, tant à Orgelet, Cernon et Dortan pour le personnel de surveillance qu’aux abords de Vouglans pour l’entreprise principale de maçonnerie. Le renforcement du réseau routier autour du barrage était entrepris. Mise en place des installations de chantier, forage de la dérivation provisoire destinée à rétablir le cours de l’Ain et le passage des crues jusqu’à 600 m³/s, construction des batardeaux amont et aval pour la mise à sec du chantier.
fin 1965 à 1968 : Construction du barrage de l’usine et du poste d’évacuation de l’énergie.
1968 Mise en eau de la retenue
par fermeture de la dérivation provisoire, puis par fermeture d’une vidange basse « de mise en eau ».
Mise en service des groupes 1 et 2. (G1 le 04/09/68, G2 le 18/10/68).
1970 Mise en service du groupe 3. (le 17/01/1970)
1973 Mise en service du groupe 4 réversible. (le 16/04/1973)
Nota: Installations de chantier mises en oeuvre
- Ouverture d’une ballastière au Finage (poste 225 Kv actuel) capable de fournir 3000 t/j d’alluvions.
- Construction d’une installation de traitement des granulats d’une capacité de 300 t/h.
- Installation d’un réseau d’eau avec pompage dans la chambre d’eau de l’usine de Chartreuse, pour l’ensemble du chantier, d’une capacité de 220 m³/h
- Installation d’un ensemble de stockage du ciment (CPAC classe 325) d’une capacité de 4800 t (4 silos de Ø=10 m, H=12,5 m)
- Installation de centrales à béton. 1 de 90 m³/h principalement pour le barrage et 1 de 60 m³/h principalement pour l’usine.
- Installation de grands moyens de manutention: 3 blondins de 6 t en travers de la rivière, 4 grues complémentaires, 1 pont roulant provisoire à l’usine.
- construction d’un laboratoire d’essais des bétons.
- Installation d’un poste électrique de 2700 Kva
- Installation d’une station d’air comprimé à 7 bars de 1800 m³/h
- Construction de bâtiments de services généraux de 2750 m²
- Construction d’un complexe à Vouglans avec: cité ouvrière pouvant abriter 190 ménages et 240 célibataires, cantine de 300 places, salle de loisirs et de spectacles, groupe scolaire, centre commercial, centre médico-social, maison des cultes.
II. La technologie
Caractéristique de la chute
III. La gestion hydraulique et énergétique
L’importante réserve utile d’eau de la retenue: 425 millions (la 3eme de France), l’importante réserve énergétique qui en découle: 80 GWh, la puissance installée de 264 MW reliée directement au réseau 225 Kv et aux postes de Génissiat et de Champvans, font que l’aménagement de Vouglans a une place très importante dans la vallée de l’Ain et un classement de centrale nationale.
Vouglans, centrale nationale
En temps qu’usine nationale Vouglans est à la disposition permanente du dispatching national de Paris. Tous ses programmes d’entretien doivent, sauf problème de sécurité, être négociés avec le CNES (Centre National d’Exploitation du Système)
La conduite est assurée par le PCH (Poste de Commande Hydraulique) de Lyon, situé dans les locaux du dispatching de Lyon, le CRES (Centre Régional d’Exploitation du Système). A cours terme il prendra le nom de PHV (Poste Hydraulique de Vallée) de Lyon, car sa capacité de surveillance des évolutions des débits des rivières sera améliorée.
Le programme de production de « J », ébauché des mois à l’avance, affiné dans les semaines puis les jours qui précèdent, est définitivement arrêté à « J-1 » 17 h00. Communiqué au chef de quart du PCH, il est mis en mémoire dans son ordinateur. A partir de (J) 00 h00 l’ordinateur communique par liaison permanente les consignes de puissance aux différants groupes, qu’il démarre ou arrête en fonction des données qu’il a en mémoire. L’ordinateur de la centrale de Saut-Mortier, qui connaît le programme de Vouglans régule la puissance de ses groupes afin de démoduler les très forts débits reçus. La centrale de Coiselet, puis celle de Cize-Bolozon et enfin celle d’Allement terminera ce travail de démodulation pour la rivière d’Ain.
Mais les prévision les plus élaborées peuvent être mise à mal par l’homme la technologie ou la nature. De loin l’homme est le moins imprévisible. Tout au plus son intérêt ou son désintérêt pour un film, une émission de variété, un match de football ou de rugby, risque de provoquer un petit écart entre la production et la consommation. Un incident mécanique d’une centrale peut aussi rompre cet équilibre. La nature est autrement imprévisible. Un nuage non prévu (éclairage des bureaux), un degré en plus ou en moins de la température (généralement 1000 MW pour une variation de 1°), une pluie plus ou moins importante que prévu (les centrales au fil de l’eau des rivières et des fleuves réagissent très vite) un orage qui provoque des surtensions suivi de l’arrêt de centrales sur sécurité, et l’équilibre obligatoire est rompu. Avant que l’usager, même le plus exigent ne le perçoive, les ordinateurs ont détectés l’écart, et des centrales spécialement sélectionnées ont rétabli la situation. Le dispatching national et les dispatching régionaux chargés de suivre en permanence le réseau, en s’appuyant sur les différents postes de commande hydraulique et les chef de quart des centrales nucléaires et thermiques, modifient peu ou prou les prévisions des autres centrales. Ainsi les centrales qui avaient automatiquement réagi pourront reprendre une marche moyenne pour être à nouveau disponible à palier un nouvel écart production transport.
Et c’est ainsi que Vouglans qu’il soit programmé pour palier automatiquement ou par modification de programme les écarts inévitables voit très fréquemment sa marche modifiée. D’ailleurs il peut tout aussi bien produire si le besoin l’exige, ou absorber si des excédents provisoires se font sentir. En effet le groupe réversible peut absorber de l’énergie et reconstituer partiellement la réserve de la retenue.
Le fonctionnement en pompe du groupe 4 réversible s’appuie sur la loi du marché. Le prix de l’énergie varie avec la demande, même si le prix réellement vendu ne reflète par totalement la réalité. Dans les périodes de forte demande Vouglans produira ou sera en réserve, dans les périodes de faible demande Vouglans absorbera ou sera à l’arrêt.
Ainsi a été défini le rôle de Vouglans au service exclusif du système production transport. Les autres rôles dévolus peuvent le modifier un peu ou profondément.
Vouglans Réserve énergétique
Au delà des programmes journaliers, Vouglans peut déplacer vers des périodes de fortes demandes des réserves énergétiques constituées en période de faible demande. Ainsi le cycle stockage destockage de la retenue recoupe le cycle faible demande forte demande. Par chance le régime hydraulique de l’Ain s’inscrit bien dans ce cycle. Partant d’une retenue pleine à la sortie de l’été, Vouglans accompagne par sa production le redémarrage des entreprises après la baisse d’activité de l’été. La centrale est alors partie pour une longue période de production car se superposera bientôt à la reprise économique, le froid de l’hiver avec ses besoins en chauffage. La pause n’apparaîtra qu’au début du printemps en vu de reconstituer les réserves pour préparer la prochaine demande.
Vouglans Réserve Hydraulique
La retenue de Vouglans pourrait permettre en année moyenne de stocker 1/3 des apports, sans turbiner. Même si elle n’est pas utiliser avec autant d’amplitude, sa position à l’amont du confluant Ain/Bienne, lui permet, quand les débits avals sont grossis par les crues, de ne pas les amplifier. Cette exploitation permet de minimiser les pertes fatales. La centrale de Cize-Bolozon le point d’étranglement est équipé à 190 m³/s. Au niveau de cette centrale, 40% du débit naturel provient de Vouglans. En moyenne donc, jusqu’à un naturel de 320 m³/s, un arrêt total de Vouglans permet d’éviter tout déversement dans le reste de la vallée. En jouant sur les réservoirs même faibles de ces centrales on peut escompter se protéger jusqu’à 350 m³/s. Au delà, la dernière centrale de la chaîne, Allement équipé à 220 m³/s ne déversera que pour un naturel de 370 m³/s. Coiselet équipé à 240 m³/s est situé immédiatement à l’aval du confluant. A cet endroit les débits se répartissent également entre l’Ain et la Bienne, Coiselet déversera pour un naturel supérieur à 480 m³/s.
On peut mesurer tout l’intérêt de Vouglans dans l’augmentation de la productivité globale de la vallée, car l’eau stockée à chaque crue sera turbinée dès que les débits dans l’Ain le permettra. Si le niveau dans Vouglans le permet, le destockage attendra la baisse des débits de la Saône, et même si possible de l’ensemble du Rhône. Ainsi l’eau stockée pendant les crues peut être rentabilisé pour l’ensemble des centrales jusqu’à la mer, soit sur près de 400 m de chute.
Cette réserve est aussi utilisée en période de basse eau pour maintenir un niveau suffisant dans le Rhône au droit de la centrale de Saint-Alban et permettre le maintient en activité de cette centrale principalement pendant les week-end d’automne.
Le maintient à cote haute de la retenue en été permet aussi de satisfaire nos partenaires utilisateurs de l’eau. En effet les rives de la retenue de Vouglans sont très abruptes, et les plages ne peuvent être praticables qu’à cote haute. Aussi un accord EDF/Préfecture fixe une cote minimale à respecter selon certains critères. Il permet aussi de faire face aux besoins exprimés par la cellule d’alerte de la basse vallée de l’Ain garante de la vie piscicole, qui en période d’étiage en juillet et août peut demander des lâchés pour refroidir et renouveler l’eau.
La possibilité d’accumulation du barrage est un atout important pour l’écrêtage des crues de l’Ain. Car au delà de l’augmentation de la productivité, il permet de stocker les pointes de débits. Aussi depuis l’origine Vouglans n’a pas déversé (seulement quelques heures). Ainsi en 1990 et 1991 lors de crues de l’Ain de 800 m³/s Vouglans est resté à l’arrêt, écrêtant de plus de 600 m³/s les débits déjà à 1100 m³/s à Allement, évitant des dégâts et inondations importantes dans la plaine de l’Ain. L’ensemble de la population de la vallée se sent protégée par cette immense réservoir qui jusqu’à maintenant n’a pas déçu. Même si cet écrêtage peut être limité en cas de crues successives qui ne permettraient pas de retrouver un creux suffisant, son effet sera toujours positif.
IV. Bibliographie
- Le barrage de Vouglans, edité par EDF et Industrielle en 1969 (PDF - 19 Mo)
- Revue "Rhône-Alpes Mediterrannée" n°9 1968 (PDF - 28 Mo)
Son et lumière du 40ème anniversaire