A l'époque où les footballeurs avaient leur quart d'heure "Cinzano"
Le football club orgelétain, créé par deux patrons tanneurs, n'était en fait qu'une section de l'Union sportive dont le but initial était de pratiquer des exercices physiques, le tir et la préparation militaire. Ces deux dernières étaient en quelque sorte un apprentissage au service militaire obligatoire, donc de « fabriquer » de futurs soldats solides, capables, à l'époque, d'empêcher l'Allemagne vaincue de reprendre l'Alsace-Lorraine. Mais elles existaient bien avant la guerre de 1914-1918 car un compte rendu municipal d'avant 1900 proposait un achat de fusils pour apprendre « le maniement des armes aux collégiens orgeletains ». On songeait évidemment à une revanche de la débandade de 1870-71 et d'une reconquête des deux provinces enlevées à la France. Qu'importe.
Ce qui est intéressant c'est que le Football club dépendant de la préparation militaire, les footballeurs s'entraînent toutes les semaines et pratiquent des exercices physiques sous la férule de moniteurs compétents - gendarmes spécialisés ou ex gymnastes cotés. Et certains seront réputés dans le département ou au cours des concours ils remporteront des succès en course, au saut en hauteur et à la perche. Alors, pas étonnant que les nouveaux statuts qui définissent la section football taisent l'obligation des entraînements puisque la préparation militaire se charge de mettre les soccers en parfaite condition physique.
Restait à peaufiner la technique footballistique. Or de très nombreux joueurs étaient employés à la tournerie Rousset-Roland à deux pas du stade municipal de l'époque, et chaque jour un entraînement d'une demi-heure avec ballons avait lieu avant l'entrée à l'usine et à sa sortie. Cette équipe 1925-30 réalisa de tels progrès en peu de temps qu'elle devint un des fleurons du football franc-comtois et les Zizo, Zozi, Quetquet - on avait le culte des sobriquets à Orgelet - étaient des stars.
Une vingtaine d'années après la réussite en championnat de cette formation apparut sous le titre de U.S.O. une des meilleures équipes de tous les temps, forme de jeunes encadrés de quelques anciens comme Zizi. Or, paradoxe, la plupart de ces joueurs faisaient fi des entraînements d'ailleurs personne ne s'en chargeait. Et même quand l'Hôtel de la Valouse offrit à l'entraîneur des jeunes Sochaliens, M. Monange, un séjour de quinze jours dans son établissement et que les footballeurs locaux pouvaient bénéficier au stade de ses conseils et de son savoir, ils furent peu nombreux à vouloir en profiter. Or, étrange, ce refus de l'entraînement ne gênait en rien les footballeurs de l'U.S.O. et leurs fins de matches qu'on aurait pu penser pénibles étaient sensationnelles, miraculeuses presque. Ils retrouvaient une vitalité exacerbée par les hurlements de supporters qui les en-courageaient. Commençait alors le fameux « quart d'heure Cinzano » dont on parle encore maintenant, et très souvent le sort de la partie, favorable pour les Orgeletains, se décidait pendant les quinze dernières minutes.
Si ces footballeurs délaissaient l'entraînement, ils ne manquaient jamais les rendez-vous du samedi et du lundi à la forge de Robert Peuget, surnommé Trompette. Dernier footballeur d'une équipe de transition, il exerçait le métier de maréchal ferrant, un métier disparu de nos jours. Sa forge située d'abord derrière le café des Sports puis ensuite derrière le boulodrome actuel, semblait l'antre de Vulcain, avec ses lueurs d'incendie, ses odeurs de suie, sa fumée oppressante... mais le Dieu Trompette lui était calme, pacifique. Son atelier recevait la visite rapide des gamins qui venaient s'approvisionner en têtes de clous pour orner leurs frondes quand ils partaient à la chasse aux oiseaux. Mais surtout c'était là que se retrouvaient les équipiers premiers pour écouter l'artisan, devenu professeur de football. Le tableau noir, la veille des rencontres, se zébrait de croix, de carrés, de flèches dont seuls les joueurs connaissaient la signification.
C'étaient des opérations mathématiques sans chiffres dont le résultat était la victoire pour le lendemain. Pas besoin de preuve par 9. Et si le dimanche, le gain du match n'avait pas été acquis, le lundi Trompette devenait Jupiter et les outils de la forge vibraient aux vibrations de sa voir de stentor, qui vilipendait les responsables de la défaite.
Heureusement, ces crises de colère étaient rares car Robert Peuget était aidé, au cours des rencontres par des supporters très nombreux, et certains dopaient les joueurs non pas avec des produits défendus mais en leur promettant « le boudin au pommes » ou « le lapin à la moutarde » en cas de victoire. L'exploit réalisé, on se retrouvait chez le « Paul » et la « Dédée »... et ces soirées étaient mémorables.
André Jeannin
Article paru dans Le Progrès le 30 janvier 2000