Les trajets, à vélo, en car
ou en train pour les lycéens
Aujourd'hui les collégiens qui poursuivent leurs études dans un établissement lédonien ne sont plus pensionnaires. Chaque jour, un car est à leur disposition pour les transporter en moins d'une demi-heure au lycée et le soir, il les ramène à leurs domiciles aux environs de 19 heures. L'habitude crée la monotonie, il ne se passe rien d'intéressant pendant ces déprimants aller et retour. Combien ceux de la période 1940-45, étaient plus riches en émotions : inquiétude, joie, peur, suspense. Bien sûr ces trajets n'avaient lieu que le lundi matin et le samedi à midi car la gent étudiante était pensionnaire.
A cette époque, le moyen de locomotion le plus utilisé était la bicyclette, pas un engin sophistiqué comme de nos jours, un lourd vélo solide aux larges pneus, sans changement de vitesse rendu plus pesant encore par une énorme sonnette obligatoire, un porte-bagages, un système d'éclairage à dynamo, et le fameux cataphote imposé.
On partait ensemble quatre ou cinq du lycée et jusqu'aux monts de Revigny - on évitait la côte de Montaigu - on roulait sagement, en petit peloton. Dès qu'apparaissaient à la sortie de l'agglomération les premiers lacets, c'était chacun pour soi au rythme que lui permettait sa condition physique. L'arrêt était programmé « aux fontaines » où il était possible de se désaltérer et de se rafraîchir le visage. Parfois, dès le début de la pente, les cyclistes apercevaient quelques lacets plus haut, un camion gazogène qui s'essoufflait ; alors, debout sur les pédales, c'était un sprint effréné pour le rejoindre et s'accrocher aux ridelles au grand mécontentement du chauffeur qui l'exprimait par une grimace et un geste de la main... Quant aux cyclistes, ils jubilaient, sachant bien que les monts seraient gravis sans effort, que le conducteur ne leur pouvait rien, et pensant aux quolibets qu'ils adresseraient à leurs camarades qui avaient raté le camion salvateur.
Pendant la mauvaise saison, le car était le principal moyen de locomotion, mais les Orgeletains ne se rendaient pas en gare, à six heures du matin, très sereins. D'abord le car venait d'Arinthod arrivait très souvent en retard, et ceux qui l'attendaient gelaient dans le local de la gare. Et puis surtout il était déjà archi plein et n'acceptait aucun voyageur supplémentaire.
Les scolaires étaient les seuls à rester calmes pour la bonne raison qu'alors que continuaient les palabres entre le chauffeur et les voyageurs restés sur le quai une lycéenne arinthodienne, subrepticement baissait une vitre à l'arrière du car et à la force du poignet les garçons se hissaient à l'intérieur du véhicule et y tiraient ensuite leurs compagnes lycéennes. Ils étaient ainsi tranquilles jusqu'à Lons où là, ils ne pouvaient tromper la surveillance du conducteur, le brave M. Prudent qui hurlait d'une colère feinte, et qui après leur avoir fait payer leur billet les aurait presque félicités pour leur débrouillardise et leur bonne entente.
Il arrivait parfois que le car fut déjà parti à 11 h 30 le samedi alors que les cours au lycée n'étaient pas terminés. Il fallait alors rejoindre à toute vitesse la gare des Bains pour monter dans le train. Ce n'était pas le TGV ce petit train, il mettait deux heures pour parcourir les 20 km de Lons à Orgelet, il ahanait poussif en grimpant les monts, il tanguait sur ses rails comme une barque sur un lac déchaîné ; ses bancs de bois talaient les postérieurs et les escarbilles de chardon brûlaient les yeux à la moindre tentative d'ouverture d'une fenêtre. Mais tous ces inconvénients étaient bien minimes par rapport aux satisfactions qu'apportait à des jeunes de 16-17 ans ce trajet. Il y avait tout d'abord le guet-apens du tunnel astucieusement préparé par les garçons qui profitaient d'une totale obscurité de trente à quarante secondes pour embrasser une fille à proximité, tâter une poitrine très faite... et prendre un visage angélique au retour de la lumière. Et puis en automne, quand le raisin des côteaux étaient bien mûrs ; c'était l'échappée des jeunes voyageurs dans les vignes pour cueillir quelques grappes sans trop se presser car le train qui peinait dans la montée semblait être de connivence avec les maraudeurs pour ralentir encore son allure.
Il est arrivé une fois que les lycéens privés de car et de train un samedi à midi se sont décidés de faire le trajet Lons-Orgelet à pied. Ils ont emprunté tous les raccourcis possibles, en particulier celui qui, au bas de Revigny, permet d'atteindre le sommet des monts en délaissant les trajets. Et ils ont refusé poliment l'invitation du seul automobiliste rencontré au niveau de Dompierre à 5 km de l'arrivée voulant inscrire à leur palmarès : la distance Lons-Orgelet parcourue à pied.
André Jeannin
Article paru dans le Progrès du 17/02/2002